La Provence — Marseille : au Mamo, Zevs en état d’alerte

Presse, Juin 2021
© Zevs 2021, courtesy of the artist, photo/ Benoit Pailley

laprovence.com

Avec "Oïkos Logos", l'artiste invité par Ora Ito, créateur du centre d'art de la Cité Radieuse à Marseille, décline sa réflexion sur l'environnement.

Par Gwenola GABELLEC

L’artiste Zevs (pour Zone d’Expérimentation Visuelle et Sonore et à prononcer Zeus) a investi le Mamo avec ses dernières créations, engagées, inquiètes, qui s’interrogent, et nous avec, sur la place de l’homme dans son environnement. Le Centre d’art de la Cité Radieuse à Marseille, lancé par Ora Ito en 2013, a laissé le champ libre au dialogue de Zevs avec l’architecture du Corbusier : “J’aime travailler de façon contextuelle, explique- t-il, prolonger ce qui existe déjà, je perturbe ce qui est en place et le Mamo s’est présenté comme la possibilité d’une île pour cette exposition sur laquelle je travaille depuis deux ans et qui s’est cristallisée aujourd’hui“.

Dans l’ancien gymnase, le visiteur est ainsi accueilli par un diptyque siglé d’un grand “Welcome” réalisé par ce pro du détournement et de l’appropriation. 17 couches de peinture forment des strates dans lesquelles Zevs a creusé ses lettres de bienvenue, “comme Shell creuse pour chercher du pétrole“, dit-il, mais ici afin de former “un chaos pictural“. Car l’art de Zevs se place sur le fil, comme en équilibre entre dénonciation frontale, relecture de l’histoire de l’art et utopie pleine d’humour.

Piraterie ludique

Une fois passé cet accueil ambivalent, sept tableaux, Septic paintings, viennent traduire les recherches de Richard Heede, à la manière de l’artiste qui a commencé dans la rue dès la fin des années 90 à dessiner ses “ombres électriques” et à “liquider” des logos au sens propre comme au figuré car ils dégoulinent de peinture. Les études du géographe montrent que 20 compagnies pétrolières sont à l’origine, depuis les années 60, du tiers des émissions de gaz à effet de serre. Les tableaux de Zevs évoquent, eux, une skyline dont les gratte-ciel sont les coulures des noms de ces entreprises à l’origine de l’aggravation de la crise climatique. Si le titre de l’oeuvre fait écho au climato-scepticisme, sa réalisation avec des couleurs or, argent et bronze est plus un clin d’oeil aux médailles. “Comme sur une forme de podium car ce sont les super-vilains, les grands pollueurs“, poursuit Zevs qui a utilisé aussi du dioxyde de carbone pour finir ses oeuvres. “C’est une technique suicidaire mais la prise de risque fait partie de mon travail“, sourit-il.

En regard, une autre série Evolution, tout aussi critique, déploie 8 toiles sur une cimaise en spirale – référence au nombre d’or dont s’est servi l’architecte Le Corbusier et à une forme d’urgence. Ces tableaux s’inspirent du Bigger Splash peint par David Hockney et des Nymphéas de Claude Monet. “J’ai utilisé ces peintures comme un street artiste, passant la barrière sans autorisation, je me suis approprié le tableau pour y développer mon travail et j’ai utilisé la nacre pour les réaliser, j’aime le fait que ce soit un matériau de défense, de protection“, explique cette figure historique du graffiti.

Là aussi, les logos des compagnies pétrolières coulent, changeant la piscine en une marée noire irisée pour former “une ombre au tableau, comme un paradis perdu” estime Zevs. Une série où le visiteur peut jouer au jeu des 7 erreurs, et qui traduit l’aspiration écolo de son auteur, invitant à rester vigilant.

L’exposition se propage aussi à l’extérieur sur le toit de la Cité Radieuse avec deux sculptures. Un étonnant paratonnerre (Labitation) et l’interprétation personnelle de Zevs du Modulor (qui définit pour Le Corbusier la taille de l’homme moyen, 226 centimètres le bras levé, étalon pour la réalisation de ses unités d’habitation et inspiration de ce centre d’art qui s’appelle Marseille Modulor, Mamo).

Ce Manpower est sensible aux éléments, au vent notamment, et s’active au coucher du soleil. Mieux, il symbolise pour le plasticien comment “l’homme, tout puissant, a utilisé les forces de la nature, pour le meilleur et pour le pire“.

“Oïkos Logos”, jusqu’au 19 septembre au Mamo, entrée libre du mercredi au dimanche de 11h à 18h. 280 boulevard Michelet (8e) à Marseille. mamo.fr