Numéro — L’œil du titan

Presse, Octobre 2014
Photos © Olivier Amsellem & © Xavier Veilhan

L'artiste instaure un lumineux dialogue entre nature et béton, entre ciel et terre.

Depuis le toit de la Cité Radieuse – ouvrage ô combien décrié de Le Corbusier – la vue sur les montagnes majestueuses, la mer et le ciel éclatant de la cité phocéenne à toujours été une invitation à la rêverie. Mais, jusqu’à la fin octobre, ce sont les oeuvres de Daniel Buren, installées sur ces terrasses, qui devraient capter toute l’attention.

Avec Défini, fini, infini, Daniel Buren, à travers sept oeuvres monumentales, se propose de redéfinir les perspectives du lieu. Une multitude de miroirs majestueux parfois inclinés vers le ciel, viennent capturer les détails du paysage environnant. Sur ces murs de miroirs et selon les hasards de la perspective, un nuage côtoie un pan de mur signé Le Corbusier ou un flanc de montagne. Le corps du spectateur se voit ainsi projeté, par ce jeu de réflexions au coeur de l’espace qui l’entoure, de la roche comme du ciel, du béton comme de la mer il fait corps avec ce monde. C’est une communion.

Et lorsqu’il admire le losange de plusieurs mètres de hauteur constitué de miroirs et des fameuses bandes du maître – objet monolithique digne de 2001 l’Odyssée de l’espace -, il peut aisément se prendre pour un dieu observant l’univers à travers cet oeil de titan. De même lorsqu’il découvre dans un imposant espace intérieur ce vitrail aux dimensions colossales qui resplendit sur un sol réfléchissant, traverse à l’occasion par les rayons du soleil teintes de couleurs. Une ‘mire’ comme un clin d’oeil a l’anecdote selon laquelle la mire télévisuelle serait apparue la même année que la Cité Radieuse, en 1952. Le dialogue avec l’histoire ne s’arrête pas là, puisque l’oeuvre n’est pas sans rappeler Mondrian dont l’influence fut essentielle pour Le Corbusier.

Sous l’emprise de Buren, le lieu est définitivement pris dans un vaste mouvement du temps, des corps et des astres qui en modifient toujours la perception. Une oeuvre mouvante donc que l’on soit sous le soleil de midi, au crépuscule, ou sous les étoiles, que l’on admire les miroirs droits ou inclinés, que l’on se confronte au passé – la Cité de Le Corbusier – ou au présent – l’oeuvre in situ de Daniel Buren. Mais la Cité, toujours, se fait Olympe de dieux humains. Car du sommet de leur montagne urbaine, les spectateurs-acteurs de l’oeuvre ont pleinement conscience d’eux-mêmes et de l’univers, du fini et de l’infini.

Alors ceux qui méditeraient, du haut de ces terrasses, sur Daniel Buren, ne pourraient en conclure qu’à la richesse de son art. Riches, ils le seraient aussi, simplement parce qu’ils auraient fait, alors, l’expérience d’être présents au monde.

Défini fini infini, jusqu’à la fin octobre au MAMO Audi talents awards.
Centre d’art de la Cité Radieuse à Marseille.
www.mamo.fr

Par Thibaut Wychowanok
Photo Olivier Amsellem