Les Echos — Radieux Ora-ïto

Presse, Juillet 2013
Texte © Mariana Reali - Photo © Olivier Amsellem

Designer pluri-disciplinaire, Ora-ïto a ajouté une nouvelle corde à son arc en rachetant l'ancien gymnase de la Cité radieuse à Marseille pour le transformer en centre d'art : le MAMO Audi talents awards. Normal pour ce créateur qui croit avant tout à la fusion des arts.

Le soleil peine à irradier Marseille, cet après-midi de juin; Ora-ïto, lui, est radieux. Il nous reçoit à 56 mètres de hauteur, sur le toit terrasse de la Cité radieuse, à quelques heures de l’inauguration du MAMO (1), l’espace d’exposition qu’il a installé dans l’ancien gymnase de cette « unité d’habitation », imaginée par Le Corbusier. La trentaine bien tassée, un physique d’éternel adolescent, le nouveau propriétaire des lieux est monté sur ressort. Pour cette première exposition, il accueille l’artiste Xavier Veilhan, comme si, des ors de Versailles au béton armé de la Cité, il n’y avait qu’un tout petit pas. D’une démarche énergique et d’un débit rapide, il commente la visite, évoque le génie du Corbu, s’enthousiasme sur la puissance du lieu, s’extasie sur la beauté des montagnes. Il propose, alors, de s’installer dans les moelleux fauteuils Le Corbusier, puis, comme un enfant trop content d’exhiber tous ses jouets, sort une chaise longue – toujours signée du maître -, la tourne dans tous les sens, pour finalement proposer de s’asseoir à même le béton de la terrasse, car « c’est d’ici qu’on a la vue laplus emblématique du bâtiment ».

Une rencontre avec Ora-ïto, c’est un peu comme visionner un film en avance rapide. Un personnage en vitesse accélérée, qui n’est pas sans rapport avec la rapidité de sa carrière. A dix-neuf ans, ce culotté en culottes courtes (et, pour l’anecdote, fils du créateur Pascal Morabito) se fait connaître en créant, sur Internet, des produits virtuels en 3D détournés de marques cultes. Naissent, alors sur la toile, des sacs à dos Vuitton, des mallettes Apple, des produits Nike… Très vite, l’histoire, née dans un monde virtuel, se concrétise dans le monde réel, car plutôt que de poursuivre ce jeune pirate électronique, les marques choisissent de faire appel à ses talents. Premier tour de force, pour cet adulescent d’à peine vingt ans, dont la carrière, jusqu’ici, n’a pas connu de ralenti. Depuis quinze ans, il enchaîne les collaborations – Heineken, Guerlain, Christofle…-, est édité chez les plus grands éditeurs, conçoit des hôtels, des restaurants, des aires d’autoroute. Son audace l’aura lancé, mais sa persévérance le fait, aujourd’hui, avancer : « Je suis un teigneux, je ne lâche jamais rien, je suis persuadé que quand on y met du travail, de l’énergie et de la sincérité, ça marche », confie-t-il.

Longue croisade

Mais si Ora-ïto se retrouve, aujourd’hui, sur ce toit, c’est un peu le fruit du hasard. Par hasard, il apprend que le gymnase de la Cité radieuse est à vendre; par hasard son ami Xavier Veilhan lui parle de son projet « Architectones ». Des signes du destin qui vont le propulser, sans préméditation, à la tête d’un ambitieux projet. La suite, en revanche, tiendra plutôt du parcours du combattant, car en s’attaquant à cette icône de l’architecture, classée monument historique, Ora-ïto le teigneux aurait pu présumer de ses forces. « Le projet était un pari impossible. J’ai été confronté à toutes sortes d’obstacles ». Rien d’étonnant à cela. Car loin de se contenter d’une banale restauration, le designer découvre, à nouveau par hasard, qu’une extension post Corbu, (qu’il nomme « la verrue »), recouvre l’ensemble du solarium. En fan de l’architecte, Ora-ïto n’a qu’une obsession : restaurer le bâtiment, tel qu’il était à son origine, et donc, détruire cette verrue impie. Seulement voilà, l’extension a été classée en même temps que l’ensemble du bâtiment, en 1995. Ora-ïto s’engage, alors, dans une longue croisade, pendant laquelle il lui faudra convaincre la copropriété, consulter la Fondation Le Corbusier, négocier avec le ministère de la Culture, remettre le bâtiment aux normes, gérer les problèmes administratifs et financiers… « Franchement, j’en ai bavé, ça a été laborieux », finit-il par avouer, après avoir tenté de minimiser les problèmes. Au final, sa persévérance et son bagou viendront à bout de trois années de restauration. Restait encore à trouver un nouveau destin pour cette salle de gymnastique. « Je n’avais pas vraiment d’idée précise. Pour être très honnête, j’ai même pensé à en faire un penthouse de rêve avec vue sur mer ! », lance-t-il, amusé, comme s’il s’agissait d’une bonne blague.

Un nouveau destin

Si le lieu est, aujourd’hui, ouvert au public, c’est grâce à une joyeuse balade en mer avec son ami Xavier Veilhan. Entre deux ressacs, l’artiste plasticien lui parle de son projet d’investir les grands bâtiments de la modernité. Entre trois clapotis, Ora-ïto lui parle de son gymnase. Immédiatement, les deux amis changent de cap, direction la Maison du fada (surnom marseillais pour la Cité radieuse). Xavier est séduit et, c’est les cheveux encore imprégnés d’embruns que la nouvelle affectation du lieu est décidée : la salle de gymnastique deviendra un centre d’art. « C’était devenu une évidence. L’idée germait déjà dans mon esprit, mais cette discussion a été le déclencheur. Désormais, le MAMO, avec le soutien du programme de mécénat culturel Audi talents awards, accueillera chaque été un artiste phare; l’hiver, l’espace sera entièrement dédié à la jeune création.

Marseillais d’origine, Ora-ïto n’est pas peu fier d’offrir un projet à sa ville et, plutôt que de conquérir le monde, il préfère l’aider à rayonner. « Je suis halluciné de voir qu’aujourd’hui, avec ce projet, on a parlé de Marseille dans le “NY Times”, ou qu’on a fait la une de “Wallpaper” !» Un projet, certes, célébré au-delà des frontières, mais pour lequel ses détracteurs n’ont pas manqué à l’appel. « Ils me reprochent d’avoir changé l’affectation du lieu. » Sur ces mots, il se lève d’un bond et pointe du doigt un supermarché, puis une salle de sport dans la rue en contrebas… Il explique, alors, combien la ville a évolué, et comment, à la différence des années 1950, elle s’est, maintenant, rattachée au bâtiment; le concept de village vertical était devenu obsolète. « Le Corbu était un visionnaire, il serait le premier en phase avec l’idée d’une architecture capable de se réinventer. » Ora-ïto avoue, toutefois, avoir ressenti de la culpabilité à ce changement d’affectation. Jusqu’au jour où il apprend que Le Corbusier, lui-même, avait eu la volonté de transformer le gymnase en espace artistique. A cette nouvelle, le designer dit avoir versé une larme. Bon, là, il en rajoute, peut-être, un peu Ito, mais, comment lui en vouloir ? N’oublions pas qu’il est un peu marseillais sur les bords.