Événements, Février 2015
Graphisme © Mathias Schweizer, Photos © Adrien Più
Curated by Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani. Du 14 février au 26 avril 2015 au MAMO – Centre d’art de la Cité Radieuse.
Avec : Mike Kelley, Aaron Curry, Alan Fertil & Damien Teixidor, Urs Fischer, Estrid Lutz & Emile Mold, Paul McCarthy, Sterling Ruby, Joel Kyack, Rachel de Joode, Josh Atlas, David Horvitz, Ed Ruscha, Pipilotti Rist, Steciw/de Joode, Aoto Oouchi, Dwyer Kilcollin, Gaëlle Choisne.
L’exposition « COOL – As a State of Mind » au MAMO – Centre d’art de la Cité Radieuse (14 février – 26 avril 2015) fait suite à « A Sip of COOL » à La GAD (30 août- 28 novembre 2014) et précède une autre occurrence à downtown Los Angeles en mars 2016 (pendant la FIAC). Elle poursuit les recherches de Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani sur le « cool », une notion permettant de sortir du débat sur les relations entre la culture dite « haute » et celle désignée comme « populaire », tout en offrant une autre histoire des contre-cultures et du mainstream.
Le COOL est d’abord un cliché : cheveux mouillés, plages paradisiaques, jeunesse… Le COOL surfe sur la vague, change en fonction des modes à la vitesse du temps qui s’emballe. C’est pourtant une attitude bien précise dont l’Histoire peut être tracée aussi loin qu’en 3000 avant Jésus-Christ dans les sociétés africaines Yoruba et Igbo, ainsi que dans d’autres régions du continent. La traite des noirs et l’esclavagisme ont favorisé la perduration de cette attitude de détachement, ensuite popularisée par les jazzmen afro-américains à partir du début du XXe siècle. Ce que l’on pourrait nommer le COOL moderne se développe à un moment de fusion, lorsqu’il s’étend à toute la jeunesse américaine via une icône unanimement acclamée : Elvis. Le COOL englobera dorénavant la notion de style et l’apparence extérieure deviendra aussi fondamentale que la recherche de liberté vis à vis des normes sociétales, sexuelles ou politiques. Le détachement et le nomadisme de la beat generation s’incarnent finalement visuellement à Woodstock. Se développe alors un marché parallèle, très vite récupéré par la publicité. Le COOL est marketé, chacun de ses méandres peu à peu englobé, et ce même si le look qu’il convoque change perpétuellement : hippie, punk, hip-hop, grunge etc. Paradoxalement, c’est en voulant contrer la société capitaliste que les adeptes du cool en favorisent l’accélération et la radicalisation, embrassant en cela le processus de « révolution culturelle » souligné par Jameson : la préparation involontaire de la prochaine étape du capitalisme par chaque tentative artistique de sortie de celui-ci. Selon Dick Poutain et David Robins, les libertés, l’individualisme et le désir de jeu revendiqués par les sixties ont paradoxalement favorisé la révolution économique néo-libérale de l’ère Reagan. Si l’on considère que Gramsci a toujours soutenu la thèse consistant à souligner qu’une révolution politique est toujours précédée d’une révolution culturelle, le COOL des années 1960 aurait été le terreau de l’ancrage et de la mondialisation de la société postmoderne. Que signifie alors la résurgence du COOL aujourd’hui, autant dans la société via le normcore, que dans l’art via la copie de ce qui est à la mode ?
Le COOL contemporain semble plus proche des aspirations de la beat generation ou de la surf musique que de la vague libertaire des années 1960 : une envie de sortir des grandes capitales dans une recherche de renouveau non nostalgique. « COOL – As a State of Mind » met ainsi en regard de jeunes artistes européens et américains avec des pratiques californiennes historiques. Les artistes émergents présentés au MAMO ne se revendiquent pas directement du COOL ou de l’Histoire de la Californie. Pourtant, leurs oeuvres dialoguent toutes et avec la matérialité de crise du travail de Mike Kelley ou de Jason Rhoades, et avec les nouvelles technologies incarnées par la Silicon Valley. En effet, ces dernières cristallisent toutes les facettes du COOL – de l’attitude originellement à la marge d’un Steve Jobs ayant sillonné l’Inde à pied, au matériel de pointe offrant la possibilité de paraître COOL. Et c’est bien entre ces deux extrêmes que s’agite l’art qui émerge depuis quelques petites années.
Transparait enfin, tant dans les oeuvres de jeunes artistes (Estrid Lutz & Emile Mold, Joel Kyack ou Rachel de Joode) que dans celles d’artistes plus confirmés (Urs Fischer, Mike Kelley, Aaron Curry ou Pipilotti Rist), des formes et cristallisations d’idées propres au XVIIe siècle. Ainsi, le goût pour le transitoire d’Estrid Lutz & Emile Mold n’est pas sans rappeler celui de l’homme Baroque, dont l’attitude entretient des rapports troublants avec la notion de COOL. Cet homme se déguise, regarde les changements de la Nature et vénère les détails comme les torsions monumentales dans une philosophie de la fin qui ne soit pas nostalgique. Or, cette époque marque la fin de la domination aristocrate et laisse place aux prémisses de notre ère, celle du capitalisme bourgeois. Quel renversement ces oeuvres renouvelant l’idée du Baroque laissent-elles alors prévoir ?
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Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani