Le Monde — La Cité Radieuse prend l’art

Presse, Mai 2013
Article par Luc Leroux — Photos © Olivier Amsellem

Sur le toit de son immeuble mythique, Le Corbusier avait imaginé un gymnase ouvert sur le bleu du ciel. Un lieu peu à peu laissé à l'abandon que le designer marseillais Ora-ïto a reconverti en centre d'art contemporain. Tout en s'attachant à redonner son caractère originel à l'oeuvre du grand architecte. Le Mamo ouvrira ses portes le 12 juin, avec une exposition du plasticien Xavier Veilhan.

Le blanc du calcaire des calanques tacheté du vert jailli d’un printemps pluvieux. Le bleu de la rade duquel émerge, au loin, le phare du Panier. Tout autour, la ville de béton et de tuiles à perte de vue. Jusqu’à d’autres collines… Le toit-terrasse de l’immeuble de Le Corbusier offre une vue panoramique unique à Marseille. Sur ce promontoire, il faut ajouter les cris des enfants de l’école maternelle dont la terrasse de la Cité radieuse, à 56 mètres du sol, compose une incroyable cour de récréation.

Grand admirateur du travail de Le Corbusier, le designer marseillais Ora-ito a toujours été amoureux de cet ensemble. L’unité d’habitation édifiée de 1945 à 1952 condense toute la philosophie architecturale du maître. Un bâtiment construit sur pilotis, les troisième et quatrième étages conçus à l’image d’un centre-ville avec des commerces, des bureaux, un hôtel… Et la terrasse, plantée de cheminées de béton telles celles d’un paquebot, destinée à être terrain d’activités de plein air, de sport, et d’exposition du corps au soleil. Un esprit sain dans un corps sain. Le Corbusier a mis dans son œuvre beaucoup de la Grèce antique. C’est donc tout naturellement que, tel un bateau retourné exhibant sa quille de béton au ciel, il avait construit là un gymnase, splendide voûte qui a longtemps accueilli les levers de fonte et les étirements des résidents.

C’est à ce gymnase en ruine, fermé il y a quelques années, qu’Ora-ïto donne une seconde vie. Le 12 juin s’y ouvrira le Marseille Modulor – le Mamo -, un centre d’art dans le ciel marseillais, dont l’inauguration surfe sur la vague de Marseille-Provence 2013, capitale de la culture. Ora-ïto a hésité à modifier la destination de ce lieu, par respect pour Le Corbusier, « mais la société, dit-il, a change. Il y a au pied de l’immeuble un supermarché et une vaste salle de sport ». Installée au sixième étage, l’architecte marseillaise Corinne Vezzoni comprend cette entorse : « Après tout, la ville a rejoint depuis longtemps la Cité radieuse, les commerces ont fermé, le bâtiment n’est plus autonome. C’est bien la démonstration qu’il a toujours une capacité à évoluer, à continuer à vivre. »

Avant d’entreprendre tout changement, Ora-ïtO à dû gagner son brevet de corbusianisme auprès de l’assemblée des copropriétaires, en redonnant au toit-terrasse son caractère originel. Quelques années après la réalisation de la Cité radieuse, un toit à deux pentes – surnommé la « verrue » – avait en effet été greffé au solarium, probablement par un ancien propriétaire du gymnase. Puis l’ensemble de l’immeuble avait été classe monument historique en 1995. Le designer a donc dû obtenir le déclassement de cette anomalie auprès de l’architecte des monuments historiques, puis l’autorisation de la démolir. Car s’il affiche une grande fierté d’avoir sauvé cet endroit, il veut avant tout rendre hommage à son créateur: « Il n’y a pas d’Ora-ïto dans ce projet-là. »

Au bout d’un couloir rouge, l’ancien gymnase voûté conserve sur les murs ses panneaux d’Héraclite, un isolant pailleté peint en blanc. Une résine gris clair recouvre le sol. Il n’y avait rien à ajouter à la palette extérieure : le blanc du béton veiné du Corbusier, le bleu du ciel marseillais. Joëlle Ricoux, de l’association des habitants, est de ceux qui se réjouissent de la transformation du gymnase en centre d’art. « C’est un beau lieu qui est réhabilité, on est fier de le montrer », affirme-t-elle en buvant son petit noir matinal au café de la « rue » du troisième étage. Et dans tout le « village du Corbu », appelée aussi, depuis toujours, « maison du fada » par les Marseillais, le design et l’art contemporain sont accueillis avec enthousiasme. En février, par une matinée glaciale, ils étaient des dizaines à avoir répondu à l’invitation d’Ora-ïto pour une photo de famille sur le solarium.

Xavier Veilhan est le premier invité du Mamo. Il présente un épisode d’« Architectones », une série d’interventions artistiques dans les sites majeurs de l’architecture moderniste. L’artiste rend hommage au maître des lieux, notamment dans un volumineux mobile suspendu à la voûte du gymnase dont le contrepoids est une statue de Le Corbusier. Pour cette exposition qui débute en juin, des oeuvres seront installées sur le toit-terrasse, y compris au milieu du pédiluve où s’ébrouent les enfants, l’été. Une rétrospective des créations réalisées par les lauréats des derniers Audi Talents Awards-partenaire d’Ora-ïto au Manio-est annoncée à l’automne. Car la terrasse de la Cité radieuse a aussi cette vocation : être une piste d’envol pour les jeunes créateurs et les nouveaux talents.